Victor Hugo
LE JUPITER OLYMPIEN
Quand cette voix se tut, à Pise, près de là,
Du haut d'une
acropole une autre voix parla :
— Je suis l'Olympien, je suis le Musagète ;
Tout ce qui vit,
respire, aime, pense et végète,
Végète, pense, vit,
aime et respire en moi ;
L'encens monte à mes
pieds mêlé d'un vague effroi ;
L'angle de mon
sourcil touche à l'axe du monde ;
La tempête me parle
avant de troubler l'onde ;
Je dure sans
vieillir, j'existe sans souffrir ;
Je ne sais qu'une
chose impossible, mourir.
J'ai sur mon front,
que l'ombre en reculant adore,
La bandelette bleue
et rose de l'aurore.
Ô mortels effrénés,
emportés, hagards, fous,
L'urne des jours me
lave en vous noircissant tous ;
À mesure qu'au fond
des nuits et sous la voûte
Du temps d'où l'instant
suinte et tombe goutte à goutte,
Les siècles, partant
l'un après l'autre, s'en vont,
Ainsi que des oiseaux
volant sous un plafond,
Hébé plus fraîche rit
en mes hautes demeures ;
Ma jeunesse renaît
sous le baiser des heures ;
J'empêche, en
abaissant mon sceptre lentement
Vers le trou
monstrueux plein du triple aboîment,
Cerbère de saisir les
astres dans sa gueule ;
La chaîne du destin
immuable peut seule
Meurtrir ma main
égale à tout l'effort des dieux ;
Mon temple offre son
mur au nid mélodieux ;
Et c'est du vol de
l'aigle et du vol de la foudre,
C'est du cri de
l'enfer tremblant de se dissoudre,
C'est du choc
convulsif des groupes des typhons,
C'est du
rassemblement des nuages profonds,
Que le vieux Phidias
d'Athènes, statuaire,
Composa, dans
l'horreur sainte du sanctuaire,
L'immense apaisement
de ma sérénité.
Quand, dans le saint
pœan par les mondes chanté,
L'harmonie amoindrie
avorte ou dégénère,
Je rends le rythme
aux cieux par un coup de tonnerre ;
Mon crâne plein
d'échos, plein de lueurs, plein d'yeux,
Est l'antre
éblouissant du grand Pan radieux ;
En me voyant on croit
entendre le murmure
De la ville habitée
et de la moisson mûre,
Le bruit du gouffre
au chant de l'azur réuni,
L'onde sur l'océan,
le vent dans l'infini,
Et le frémissement
des deux ailes du cygne ;
On sent qu'il
suffirait à Jupiter d'un signe
Pour mêler sur le
front des hommes le chaos ;
Que seul je mets la
bride aux bouches des fléaux,
Que l'abîme est mon
hydre, et que je pourrais faire
Heurter le pôle au
pôle et l'étoile à la sphère,
Et rouler à flots
noirs les nuits sur les clartés,
Et s'entre-regarder
les dieux épouvantés,
Plus aisément qu'un
pâtre au flanc hâlé ne jette
Une pierre aux
chevreaux broutant sur le Taygète.
La légende des siècles, IV
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