1) LA JUDICIARISATION DU POLITIQUE
D’abord, il faut dépolitiser l’État en affaiblissant sa légitimité politique. C’est la condition première. Limiter le plus possible son pouvoir en le remettant dans les mains des juges. Ainsi, avec la Charte canadienne des droits et libertés, qui a une valeur constitutionnelle, on oblige les politiciens qui sont des élus d’être à la remorque des juges que personne n’a élus.
C’est ce que Michael Mandel appelle la judiciarisation du politique. Rendre en quelque sorte les décisions des politiciens redevables devant les tribunaux. Pourquoi croyez-vous que messieurs Bouchard et Taylor, Justin Trudeau, Steven Harper, Philippe Couillard, Thomas Mulcair et le Manifeste pour un Québec inclusif insistent tant sur le recours à la Charte canadienne?
Autre exemple du juridique qui prime sur le politique. Le concept d’accommodement raisonnable, qui est issu du droit du travail, est une pure création jurisprudentielle, qui n’a jamais été discuté ou entériné par nos élus, pas plus à Québec qu’à Ottawa. Et, pourtant, la Commission des droits de la personne n’arrête pas de répéter que l’employeur a l’obligation d’accommoder...
2) CONTESTER LA LÉGITIMITÉ DU QUÉBEC
Deuxième condition pour détruire une nation: contester sa légitimité en la transformant en simple majorité historique. C’est le tour de passe-passe que l’on retrouve dans le rapport Bouchard-Taylor. Une majorité ethnoculturelle et historique dont les normes et les valeurs ne sont pas neutres, puisqu’elles sont celles de la majorité, celles d’une majorité tyrannique à l’endroit des minorités. Dans l’esprit de ceux qui défendent le multiculturalisme, il faut donc s’en remettre aux Chartes plutôt qu’au représentants de la nation pour garantir le respect des droits fondamentaux. Il s’agit ultimement de remplacer une culture nationale par une culture des droits.
Dans le rapport Bouchard-Taylor, il est écrit : «Dès qu’il est question de définir des droits fondamentaux, il est imprudent de confier à la majorité ce pouvoir sur les minorités». Plus récemment, Charles Taylor disait sur les ondes de Radio-Canada : «C’est un nous qui s’affirme aux dépens d’une minorité». Et Gérard Bouchard ajoutait pour sa part : «Qu’on ne peut pas confier la gestion des droits fondamentaux aux humeurs de la majorité». Dans le Manifeste des inclusifs, on peut aussi y lire : «En fait, l’essence même de toute charte des droits est d’assurer le respect des droits des minorités vulnérables à l’encontre des diktats de la majorité».
Du point de vue de ces intellectuels, l’égalité entre les hommes et les femmes, qui est une valeur cardinale du projet péquiste, serait donc une valeur faussement universelle, une valeur partiale, colonialiste et discriminatoire à l’endroit des minorités. Ce point de vue est rarement exprimé ouvertement, mais il n’en domine pas moins le discours de bon nombre d’universitaires, qui profitent des généreuses subventions du fédéral pour leurs chaires de recherches du Canada. On retrouve également ce point de vue qui n’est jamais exprimé publiquement chez Québec solidaire et la Fédération des femmes du Québec.
3) ÉTOUFFER LA NATION
Troisième condition pour casser une nation : le primat de l’individu sur l’État. Retirer à l’État toute légitimité pour définir un horizon de valeurs et proposer des valeurs collectives, une espèce de bien commun qui ferait consensus dans la population. Affirmer que seul l’individu est souverain, que l’État n’a donc pas à s’immiscer dans la vie des gens, et que, s’il le faisait, en interdisant par exemple le port de signes religieux pour ses employés, ce serait du totalitarisme. C’est le Poutine de Charles Taylor. Une poutine dont raffole bien des jeunes. Les droits individuels doivent donc avoir préséance sur les droits collectifs. La tyrannie d’un seul contre tous, protégée par les Chartes.
Le corollaire de tout cela, c’est le cul-de-sac relativiste sur le plan des valeurs. Dépolitiser l’éthique et rendre tout acceptable sous prétexte que seul l’individu peut juger de ce qui est mieux. C’est mettre sur le même pied le hidjab, le niqab et la casquette. Afficher Allah ou Nike, c’est du pareil au même. Interdit de juger, interdit de penser. Ce serait faire preuve d’ethnocentrisme. L’État doit être minimal, insignifiant, procédural et n’avoir comme unique souci que la cohésion sociale.
4) DÉPOLITISER LA RELIGION
Quatrième condition pour tuer une nation : dépolitiser la religion. Ne faire de celle-ci qu’une simple croyance personnelle, sans aucune ambition prosélyte. Une croyance ayant renoncé à s’imposer, une croyance délestée de toute prétention politique et de tout intégrisme, une croyance inoffensive et tout en sucre, n’ayant plus rien de menaçant. Alors pourquoi l’employé de l’État ne pourrait-il pas porter des signes religieux? Mais dites-moi alors pourquoi, ce même employé est prêt à se rendre jusqu’en Cour suprême et faire de la politique avec sa religion si personnelle?
Un bel exemple de cela est la fameuse cause du kirpan dans laquelle le jugement de la Cour d’appel du Québec donnait raison à la Commission scolaire qui voulait interdire ce poignard rituel. Ce jugement a par la suite été renversé par la Cour suprême qui a autorisé le port du kirpan à l’école. Dans ce jugement qui a débouté le plus haut tribunal du Québec, il est écrit : «Une telle prohibition (celle absolue, du port du kirpan à l’école) empêche la promotion de valeurs comme le multiculturalisme, la diversité et le développement d’une culture éducationnelle respectueuse des droits d’autrui».
Ici, on se sert de la religion pour imposer le multiculturalisme au Québec. C’est d’ailleurs une thèse défendue par l’historienne Lucia Ferretti.
Primauté du juridique sur le politique, primauté des Chartes, primauté de l’individu sur l’État, primauté des droits individuels sur les droits collectifs, relativisme des valeurs et dépolitisation de la religion. Le multiculturalisme, c’est tout cela.
Avec ce projet de Charte des valeurs québécoises, le gouvernement péquiste ébranle directement les assises du multiculturalisme et il renverse complètement la vapeur en affirmant d’abord la primauté du politique sur le juridique. Nous sommes en présence d’un gouvernement qui, contrairement au Parti libéral, refuse d’être à la remorque du juridique et qui, en proposant des orientations et des règles claires en matière de laïcité, assume sa légitimité politique.
En faisant cela, ce gouvernement nous redonne la confiance de pouvoir décider de notre avenir et transforme par le fait même cette majorité historique à laquelle les multiculturalistes veulent nous ravaler en une nation qui recommence à respirer.
En affirmant la neutralité de l’État et l’égalité entre les hommes et les femmes comme étant des valeurs cardinales de ce projet de loi, ce gouvernement nous sort aussi du relativisme où tout se vaut, du relativisme où tout est beau, et nous propose un horizon de valeurs, dans lequel il y a des choses qui valent plus que d’autres et sur lesquels nous souhaitons bâtir l’avenir.
Ce projet de loi va bien au-delà de la laïcité, c’est la raison pour laquelle il suscite autant d’attaques vicieuses, de railleries et de virulence. La dernière en date est celle de la présidente du Conseil du statut de la femme qui, par sa sortie intempestive, a entaché la crédibilité du Conseil et ruiné le poids d’un appui éventuel au projet du ministre Drainville. Du beau travail pour le Parti libéral qui n’a d’ailleurs pas hésité à envoyer Christine St-Pierre devant les journalistes pour en rajouter une couche.
extrait de UNE CHARTE POUR LA NATION
de Louise Mailloux