dimanche 23 avril 2017

Le Jupiter Olympien - La légende des siècles - V. Hugo



Victor Hugo
LE JUPITER OLYMPIEN 
 
Quand cette voix se tut, à Pise, près de là,
 Du haut d'une acropole une autre voix parla :
— Je suis l'Olympien, je suis le Musagète ;
 Tout ce qui vit, respire, aime, pense et végète,
 Végète, pense, vit, aime et respire en moi ;
 L'encens monte à mes pieds mêlé d'un vague effroi ;
 L'angle de mon sourcil touche à l'axe du monde ;
 La tempête me parle avant de troubler l'onde ;
 Je dure sans vieillir, j'existe sans souffrir ;
 Je ne sais qu'une chose impossible, mourir.
 J'ai sur mon front, que l'ombre en reculant adore,
 La bandelette bleue et rose de l'aurore.
 Ô mortels effrénés, emportés, hagards, fous,
 L'urne des jours me lave en vous noircissant tous ;
 À mesure qu'au fond des nuits et sous la voûte
 Du temps d'où l'instant suinte et tombe goutte à goutte,
 Les siècles, partant l'un après l'autre, s'en vont,
 Ainsi que des oiseaux volant sous un plafond,
 Hébé plus fraîche rit en mes hautes demeures ;
 Ma jeunesse renaît sous le baiser des heures ;
 J'empêche, en abaissant mon sceptre lentement
 Vers le trou monstrueux plein du triple aboîment,
 Cerbère de saisir les astres dans sa gueule ;
 La chaîne du destin immuable peut seule
 Meurtrir ma main égale à tout l'effort des dieux ;
 Mon temple offre son mur au nid mélodieux ;
 Et c'est du vol de l'aigle et du vol de la foudre,
 C'est du cri de l'enfer tremblant de se dissoudre,
 C'est du choc convulsif des groupes des typhons,
 C'est du rassemblement des nuages profonds,
 Que le vieux Phidias d'Athènes, statuaire,
 Composa, dans l'horreur sainte du sanctuaire,
 L'immense apaisement de ma sérénité.
 Quand, dans le saint pœan par les mondes chanté,
 L'harmonie amoindrie avorte ou dégénère,
 Je rends le rythme aux cieux par un coup de tonnerre ;
 Mon crâne plein d'échos, plein de lueurs, plein d'yeux,
 Est l'antre éblouissant du grand Pan radieux ;
 En me voyant on croit entendre le murmure
 De la ville habitée et de la moisson mûre,
 Le bruit du gouffre au chant de l'azur réuni,
 L'onde sur l'océan, le vent dans l'infini,
 Et le frémissement des deux ailes du cygne ;
 On sent qu'il suffirait à Jupiter d'un signe
 Pour mêler sur le front des hommes le chaos ;
 Que seul je mets la bride aux bouches des fléaux,
 Que l'abîme est mon hydre, et que je pourrais faire
 Heurter le pôle au pôle et l'étoile à la sphère,
 Et rouler à flots noirs les nuits sur les clartés,
 Et s'entre-regarder les dieux épouvantés,
 Plus aisément qu'un pâtre au flanc hâlé ne jette
 Une pierre aux chevreaux broutant sur le Taygète.
 
La légende des siècles, IV

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