vendredi 11 novembre 2016

1914-1918 & armée du Levant (Syrie-Liban-Palestine) : le soldat Désiré Andrieux

Désiré Andrieux voit le jour le 8 mai 1898 au Pommier Malsoin, hameau de la commune de Gerberoy, dans l'Oise (Picardie) - site connu, par ailleurs, pour avoir été le théâtre d'une bataille entre les Français, commandés par la Hire et Xaintraille, anciens lieutenants ici-bas de Jeanne d'Arc, et les Anglais en 1435 (victoire française : "bataille de l'Arondel"). 

Il est le fils d'Achille Andrieux et de Priska Dumoulin, tous deux journaliers. Ceux-ci proposent leurs services à la journée pour  des travaux agricoles d’appoint chez les laboureurs et les marchands fermiers, pour la filature de la laine et autres activités manuelles. Achille Andrieux sera ainsi successivement manouvrier, bûcheron puis maçon. Priska est laveuse et aide son mari à l'occasion de ses travaux forestiers.
Pendant ce temps le nourrisson est confié aux bons soins d'une nourrice.
Il prend un jour la toquerie à cette dernière de couper le biberon du chérubin avec du vin pour les vertus fortifiantes qu'on lui prête. On la remercie.

Les années passent, l'enfant grandit. En 1916 Désiré exerce la profession de garçon laitier. C'est un jeune homme châtain aux yeux bleus foncés. A 18 ans il mesure 1m75, selon les sources militaires, mais il continuera sans doute de grandir quelque peu pour atteindre une taille avoisinant les 1m80, si on en croit la mémoire familiale. C'est un homme robuste : on ne sait quelle était sa stature durant ses années de service mais il pèsera jusqu'à 107 kg à l'âge de 35 ans (sans être corpulent, toutefois). Il a la complexion d'un demi de mêlée et, de surcroît, il est ambidextre.
Mon grand-père maternel,
Désiré Andrieux,
dans les années trente
C'est un homme entier ; son tempérament est assez proche de celui de Léopold Lajeunesse, le personnage haut en couleur d'Uranus, le roman de Marcel Aymé ; fort bien campé au cinéma par Gérard Depardieu...
*** En août 1914 la guerre éclate ***

1914-1916
C'est la mobilisation générale mais Désiré est encore trop jeune pour être appelé sous les drapeaux, il travaille dans une ferme ; le maître de maison étant à la guerre (ce dernier fut fait prisonnier).

1917

Il est déclaré "bon pour le service armé" et incorporé au 3e RAC (Régiment d'Artillerie Coloniale / artillerie de marine) le 17/04/1917 comme canonnier de 2e classe - soldats qu'on surnomme familièrement les "bigors" - et participe d'avril à juin à la deuxième bataille de l'Aisne.
Du 28/08/1917 au 21/10/1917 il est si malade qu'il doit être hospitalisé.
Son régiment se tient en réserve en Alsace et en renfort dans le secteur de Reims.
Dès qu'ils ont un peu de répit, les poilus s'occupent comme ils le peuvent. Pour se changer les idées il leur arrive d'antonner des chansons populaires comme la Madelon. Désiré la chantera encore bien après la fin de la guerre...


  
1918
Début 1918, il est en Picardie où il participe à des combats défensifs à l'Ouest de l'Oise.
- Le 1er mai 1918 il passe au 1e RAC qui participe à la seconde bataille de la Marne (Champagne-Marne) et travaille à repousser l'offensive Allemande dans le secteur de Reims.
***Le 11 novembre 1918, c'est l'armistice***

Wagon de l'armistice, brûlé par les Allemands en 1945
C'est l'allégresse mais le service militaire dure alors 3 ans... le temps n'est pas encore venu pour Désiré de regagner ses pénates...
1919
- Le 25/05/1919 il passe au 43e RAC
- Le 5/06/1919 il est réaffecté au 3e RAC (Régiment d'Artillerie Coloniale)
***La France nourrit alors des ambitions coloniales au Levant***
  
Eléments contextuels :
  •  Le 30 octobre 1918 l'Empire ottoman (Turquie) qui s'était rangé aux côtés de l'Allemagne, signe l'armistice de Moudros avec les Alliés. Les provinces syriennes détachées de l'Empire ottoman sont occupées par les Anglais, les Arabes et un petit détachement de Français.
  • A la tête des Hachémites, l'Emir Fayçal soutenu par les Anglais prétend au trône de Syrie ; il proclame un gouvernement arabe provisoire, à Damas.
  • L'empire Ottoman démantelé en 1919, les Français et les Anglais se partagent le Levant conformément aux accords de Sykes-Picot...
***Le 13/06/1919 Désiré part pour l'Orient***

[Le commandement français chargé d'occuper le plus tôt possible les zones prescrites que s'arrogent les Britanniques est contraint d'employer des supplétifs faute de troupes disponibles, en attendant l'arrivée de renforts prévus en juin 1919. Désiré fait partie de ce contingent de 50000 hommes bénéficiant de l’expérience et des matériels du théâtre européen.
On ne sait rien de ce que furent ses activités militaires en Syrie, si ce n'est ce que la mémoire familiale nous en a rapporté (à prendre au conditionnel donc, cela n'est pas sans rappeler la première croisade... ) :
Désiré a été envoyé en Syrie ; la tête de pont de l'armée française étant le Liban. De là, il serait allé en Palestine qui sera sous mandat Anglais à partir de 1920. Sur la route de Jérusalem, il attrape la dysenterie et aussi, par la suite, le paludisme. En chemin il découvre la terre Sainte et, une fois arrivé à destination, se recueille sur le tombeau du Christ.

Le 12/09/1919 il passe au 242e RAC
Revenu en Syrie, il se rendra à Damas et certainement dans la partie septentrionale du pays (zone d'incursions Turques) car il évoquera souvent "les gorges de Karatchouk", bien plus tard.

Il ne fut pas toujours très discipliné, son fils Marius disait qu'il avait fait du trou pour avoir enfoncé son casque sur la tête de son capitaine (ce qui ne l'empêchera pas d'avoir un certificat de bonne conduite à l'issue de son service militaire).

Il évoquera aussi souvent par la suite "la Fathma" (femme musulmane), sans plus en dire sur ce qu'il entendait par là...]
  • Le 5 octobre 1919 Clémenceau nomme le général Gouraud Haut-commissaire en Syrie-Cilicie et ses troupes (peu nombreuses : 35 000 hommes) relèvent les soldats britanniques présents au Liban et sur le littoral syrien (1/11/1919).
  • Après le départ des Anglais, les Français et le gouvernement arabe se retrouvent dans un face à face tendu. Au mois de décembre 1919, l'armée Française envahit la Bekaa (plateau situé dans la partie orientale du Liban). Dès lors les Français subissent des actes d'hostilités de la part des Arabes aux velléités nationalistes (excités par des agents britanniques) et de la part des Turcs qui cherchent à reprendre la main. C'est une guerre bien différente de celle que nos troupes viennent de mener en Europe, c'est une guérilla sans front continu, une guerre où l'action psychologique pour la conquête de la population a plus d'importance que les combats.

  • 1920 
  • Le 25 avril 1920, la SDN (Société Des Nations) confit des mandats aux Français et aux Anglais sur les provinces qu'ils occupent déjà en partie au Levant - les Américains adoptant une posture anticolonialiste pour éliminer les concurrents potentiels que sont les Empires Français et Anglais.
  • ***Désiré est versé dans la réserve à compter du 16 avril 1920***
     ***Le 7/07/1920, il est rapatrié***
  •  Le 24 juillet 1920, les Chérifiens sont vaincus - Fayçal s'enfuit. (Cependant, le reste du pays est encore hors de contrôle et, de 1920 à 1923, l'armée française combat les insurgés dans la région des Alaouites, des Druzes et d' Alep. Ce n'est qu'après trois ans de combat que les Français parviendront à vaincre les dernières résistances).
  • En septembre 1920 Les Français découperont la région en cinq entités administratives dont l'une - le Liban (lieu de refuge de minorités Chrétiennes persécutées) - sera politiquement autonome. (pour en savoir plus sur ce sujet - le dessous des cartes : http://www.youtube.com/watch?v=KGsroMXXPKY). 
  • La Syrie n'a jamais vraiment accepté cette amputation territoriale ni la perte du "Sandjak d’Alexandrette", au profit des Turcs en 1939 (cédé de peur qu'ils ne se rallient à l'Allemagne). La défaite française de 1940 et le travail de sape des Britanniques permettront à la Syrie d'accéder à son indépendance dès 1946.
 [cliquer sur la carte pour l'agrandir]
***
Désiré passera dans la réserve du 17e RAC (Régiment d'Artillerie de Campagne) le 24/08/1920, puis dans celle du 40e RAC. (il ne sera définitivement libéré de ses obligations militaires que le 7/11/1931, comme le prévoit la loi qui dispense de service armé les pères de 6 enfants, au moins)
Revenu à la vie civile il épouse le 7 mai 1921 Noémie Nantier, une jeune femme d'origine Normande que son père surveille pourtant de près ; ils auront... 11 enfants.
Ma grand-mère maternelle,
 Noémie Nantier,
à l'âge de 16 ans
Un temps laitier chez Gervais, il tiendra par la suite une petite exploitation avec son épouse...
...avant de s'éteindre le 7 septembre 1980 à Saint-Arnoult (Oise). Sa femme, Noémie, mourra quant à elle le 30 août 1988.
NB : je suis le dernier de leurs petits enfants
 ***
"Au début des années vingt Churchill exprime des doutes sur l'idée de vouloir doter la Syrie d'un régime démocratique... il conseille aimablement à la France, compte tenu du tempérament local, de chercher plutôt un roi, et le modèle de monarchie n'étant certainement pas celui des couronnes Scandinaves ! Mais convaincre Clémenceau d'instaurer la monarchie, même à Damas, c'était sans espoir..."
Jean-François Deniau, de l'académie française

2 commentaires:

  1. Très intéressant ! Beau boulot de recherche sur notre grand-père.

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  2. merci - il manque les journaux de marche de ses unités en Orient mais ils ne sont pas disponibles en ligne. Ils sont à Toulon apparement

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