vendredi 11 novembre 2016

1914-1918 : le soldat Gustave Nantier


Gustave Nantier naît le le 20 juin 1872 à Argueil, en Seine Inférieure (Haute Normandie). Il est le fils d'Hildevert Nantier et d'Eugénie Baillivet. Son père est herbager et subvient autant que possible aux besoins de sa famille ; sa mère est journalière et loue ses services dès qu'elle en trouve l'occasion. 
Ils ne roulent pas sur l'or : un jour - dans sa prime jeunesse ou après que Gustave fut devenu orphelin (la mémoire familiale est incertaine sur ce point) -, le fermier qui l'emploie comme commis, constate que ses souliers sont si usées, qu'il va pour ainsi dire pieds-nus : il lui en rachète en prenant sur sa paie...
La mère de Gustave meurt en 1880 après avoir donné naissance à son frère Jules qui la suivra dans la tombe deux ans plus tard. Son père disparaîtra, pour sa part, avant que le jeune homme n'ait vingt ans. C'est son grand-père maternel, Eugène, Aimé Baillivet, qui devient dès lors son tuteur...
 
Nous sommes en 1892, Gustave est maintenant un homme. Il est châtain aux yeux bleus-gris et mesure 1m65, selon les sources militaires. Etabli à Blacourt, dans l'Oise (Picardie), il exerce le métier de cultivateur...
 
Mon arrière grand-père maternel,
Gustave Nantier, en 1914
Après le recensement, le tirage au sort et le passage devant le Conseil de révision, Gustave est jugé "bon pour le service actif". Il est incorporé le 11 novembre 1893 dans le 39e RI (Régiment d'Infanterie/ armée active - classe 1892).

La loi Freycinet du 15 juillet 1889 ramène la durée du service actif à trois ans (la durée des obligations militaires est de 25 années). Gustave est l'aîné d'une fratrie d'orphelins, il bénéficie à ce titre d'une dispense et est envoyé en disponibilité avec un certificat de bonne conduite au bout d'un an de service (le 23 septembre 1894).

Le 21 mars 1896 il épouse Camille Fontaine à Villembray, dans l'Oise (Picardie).

Camille Fontaine,
mon arrière grand-mère, vers 1940
Le 1er novembre 1896 il passe dans la réserve de l'armée active et effectue les deux semaines de manœuvres auxquelles il est assujetti en 1902/1903 au 51e RI (Régiment d'Infanterie), dont le cantonnement est à Beauvais.

Il passe dans l'armée territoriale le 1er octobre 1905.
Le 10 décembre 1908, on le retrouve à Senantes (Oise - Picardie) où il vient de s'installer. De nouveau il doit sacrifier aux obligations militaires et accomplir en juin 1910 une période d'exercices au 11e RIT (Régiment d'Infanterie Territoriale).

Le 1er octobre 1912, il passe dans la réserve de l'armée territoriale...

*** En août 1914 la guerre éclate ***

 
1914
Le 1er août 1914 vers 16 heures, la France décrète la mobilisation générale. Dans chaque subdivision de région, un régiment territorial d’infanterie est constitué, avec un nombre variable de bataillons et deux sections de mitrailleuses.
L’armée territoriale et sa réserve se composent d’hommes ayant accompli le temps de service dans l’active et la réserve, âgés d’au moins 37 ans, plus encore après le prolongement de la période par la loi de 1913, et ne doivent pas être engagés en première ligne.  Ceux-ci étant considérés comme trop âgés et plus assez entraînés pour intégrer un régiment de première ligne d’active ou de réserve.
Les Territoriaux ou "Pépères", initialement chargés de différents services de gardes et cantonnés à des tâches auxiliaires, ont joué un grand rôle pendant la Première Guerre mondiale.
 
Ils seront en première ligne durant la guerre de mouvement comme à Maubeuge, sur le front de la Somme entre Amiens et Béthune sous le commandement du général Joseph Brugère.
Le 11e RIT est rattaché à la 81e Division Territoriale de campagne qui est destinée à manœuvrer à Hazebrouck et Arras, en cas de débarquement naval allemand.
Après avoir joué un rôle efficace, les groupes de divisions territoriales mises en première ligne sont dissous en octobre 1914, la guerre se stabilisant dans les tranchées...
Mobilisation et première Campagne de France 
 
« Vous êtes régiment de marche ; dans 48 heures vous pouvez être en contact avec l'ennemi ; je compte que chacun fera son devoir ». Telles sont les premières et simples paroles prononcées par le Général de GYVÈS, Commandant la 161e Brigade Territoriale, sur l'Esplanade de Beauvais, le 5 Août 1914, en leur présentant leur drapeau après une rapide mobilisation de deux jours, aux 3.000 hommes et aux 32 Officiers allant à l'ennemi sous les ordres du Lieutenant-colonel AMIOT. 
Le 11e R. I. T. comprenait en partie des Parisiens et, pour les deux tiers, des hommes des braves populations de l'Oise, pris dans les classes 1894 à 1899. Faisant d'abord partie de la 81e Division Territoriale commandée par le Général MARCOT, le Régiment est embarqué à Beauvais le 5 Août 1914 pour Hazebrouck où, du 6 au 13 Août, il complète rapidement son organisation et son instruction. Du 13 au 27 Août il est réparti en surveillance sur notre frontière du Nord : Varneton, Messines, Goldversvelde, Stenvorde sont occupés par ses unités et mis en état de défense. 
Devant l'avance rapide des Armées allemandes et se conformant à l'ordre général de repli de l'Armée française, il est envoyé à Amiens pour faire partie du groupe des quatre divisions territoriales placées sous les ordres du Général d'AMADE et chargées de couvrir cette ville. Après avoir pris contact, le 31 Août, avec les premières patrouilles allemandes, il reçoit l'ordre de se replier à nouveau pour couvrir Rouen, formant ainsi l'extrême gauche de la retraite française. Du 1er au 12 Septembre, le Groupe des Divisions Territoriales, placé sous les ordres du Général BRUGÈRE, reprend la marche en avant après la décisive victoire de la Marne et le Régiment suit l'ennemi dans sa retraite vers Amiens et Arras.
 
Gustave est incorporé au 11e RIT (Régiment d'Infanterie Territoriale)
 
A partir de ce moment le rôle glorieux du Régiment va commencer. Placé en première ligne pour permettre aux troupes actives de s'organiser en arrière et leur fournir en même temps un point d'appui, il reçoit, le 26 Septembre, le baptême du feu au combat de Vaulx-Vraucourt. Déployé dans un ordre parfait, ayant à sa droite le 12e R. I. T., il s'avance rapidement sur les batteries allemandes ; la nuit seule pourra arrêter son élan à cinq cents mètres de celles-ci. 
Le lendemain, cantonné à Bucquoy, il organise les tranchées, repousse, dans la soirée du 3 Octobre, une attaque, ennemie dans laquelle le Commandant CAZIER, du 1er Bataillon, est mortellement atteint, et s'apprête, après le violent bombardement d'Achiet-le-Petit, à recevoir l'ennemi. 
Le 4 Octobre, l'attaque ennemie, précédée d'un violent bombardement du village de Bucquoy et des tranchées, est exécutée par deux régiments de la Garde Prussienne. L'occupation de Puisieux par l'ennemi, l'absence de mitrailleuses et le peu d'artillerie de notre côté, décident le Commandement à faire replier le Régiment sur les Essarts-Manescamps ; le 3e Bataillon reçoit, le soir, l'ordre formel d'arrêter l'ennemi en avant de Fonquevillers où il résiste pendant trois jours réussissant, sous de violents bombardements, à fixer définitivement le front français sur ce point. Pendant le combat de Bucquoy, le Général MARCOT est tué et remplacé, à la tête de la Division, par le Général TRUMELET-FABERT. Le Capitaine d'HALLUIN, les Lieutenants RIEFFEL et LEMARINIER sont tués à leur poste dans les tranchées. Le Lieutenant porte-drapeau BALSAT tombe grièvement blessé ; enfin, de nombreux morts et blessés sont la rançon de la belle défense du Régiment au cours de cette journée. 

Jusqu'au 10 Octobre, les 2e et 3e Bataillons coopèrent encore, avec quelques éléments de régiments actifs, devant Bienvillers, à l'arrêt de la progression ennemie en résistant à plusieurs attaques sous de violents bombardements. Le 12 Octobre, le Régiment établit rapidement les lignes de tranchées en avant de Bailleulmont et fixe encore l'ennemi sur ce point du front. Enfin, le 13 Octobre 1914, il est relevé et va se réorganiser à quelques kilomètres en arrière du front en attendant d'être appelé à l'honneur de participer à de nouvelles et glorieuses actions.  

Première Campagne de Belgique 
Le rôle du Régiment n'est cependant pas terminé et un nouvel effort allait lui être demandé. « Dans la course à la mer avec les Allemands, a dit le Général d'URBAL, j'avais seulement deux Divisions auxquelles j'ai fait faire attaques et contre-attaques pour faire croire aux Allemands que j'avais du monde. » Le 3 Novembre 1914, à minuit, après plusieurs pénibles journées de marche, le Régiment embarque à Lillers ; le lendemain il est à Furnes ; le surlendemain il traverse Nieuport, les Cinoponts et, sous un sérieux bombardement, s'établit sur la rive droite de l'Yser, remplace les dernières unités de l'Armée Belge, résiste à plusieurs attaques de jour et de nuit, exécute lui-même des attaques vers Lombaertzyde avec d'autres régiments territoriaux et, là encore, fixe le front jusqu'à la mer en avant de Nieuport, comme viennent de le faire à Dixmude les glorieux fusiliers-marins, contribuant ainsi à arrêter l'ennemi en lui interdisant l'exécution de ses plans vers Dunkerque et Calais. Pendant le mois de Décembre, le Régiment au repos dans la région de Rexpoode exécute des tranchées du camp retranché avancé de Bergues.
 
 1915
 
Du 5 Janvier à fin Octobre 1915, le Régiment est rappelé dans le groupement de Nieuport et coopère à la défense de cette ville avec les zouaves et les fusilliers-marins sous les ordres de l'Amiral ROHNARC'H. Le 30 Avril, le Capitaine ROZIER, Commandant la 2e Compagnie, est promu Officier de la Légion d'honneur avec la belle citation suivante : « Bien qu'âgé de soixante-dix ans a tenu à reprendre du service pendant la campagne. A participé à tous les combats auxquels le Régiment a pris part sans jamais éprouver une seule défaillance, donnant ainsi le plus bel exemple de dévouement à la Patrie.» 
 
Source : Historique du 11e Régiment d’Infanterie Territoriale Imprimerie Marcel Picard, Albert Picard, Paris – 1920 (extrait)


Le 26 mars 1915, Camille envoie une lettre aux services de l'armée pour solliciter le renvoi de Gustave dans ses foyers, comme le prévoit la loi qui dispense les pères de 6 enfants, au moins. Cela lui est accordé le 9 avril 1915.



 Il sera officiellement libéré du service militaire le 1er octobre 1919.

  ***

 
Revenu à la vie civile, Gustave tient une exploitation avec son épouse et l'aide de ses enfants.

Il est passé dans la postérité comme étant un bourreau de travail : il faut arracher les chardons jusqu'au coucher du soleil et se lever pour traire les vaches à quatre heures du matin. Noémie, sa fille aînée, fait les frais de cette intransigeance : elle s'évanouit dans sa chambre. Le médecin diagnostique un rhumatisme cardiaque et sermonne son père en lui disant qu' "elle aurait pu mourir"...
Ma grand-mère, Noémie Nantier,
à l'âge de 16 ans
La jeune femme prend alors régulièrement le tortillard pour se rendre chez le docteur à Gournay-en-Bray (Seine Inférieure - Normandie) et se rétablit bientôt.
 
*

 A cette époque la France est encore largement paysanne ; les petites exploitations sont nombreuses. Les enfants fournissent une main d'œuvre naturelle et bon marché qui - hormis le gîte et le couvert - n'a pas toujours la juste rétribution du travail qu'elle fournit. Pour le reste, ceux-ci doivent souvent "quémander" leur argent de poche auprès du chef de famille.
Gustave est un paysan, pour lui un sou est un sou ; aussi quand Noémie lui demande de l'argent pour s'acheter la robe dont elle rêve pour aller au bal, il refuse.


L'objet du conflit
Furieuse, cette dernière, qui ne manque pas de caractère non plus, claque la porte et prend son indépendance (pendant un temps du moins) en allant travailler dans une ferme à Ernemont-Boutavent (Oise - Picardie).

Désormais Gustave en est réduit à surveiller sa fille et ses fréquentations (masculines) de loin. Elle épousera Désiré Andrieux le 7 mai 1921 (les deux hommes ne s'entendaient pas très bien).
mon grand-père, Désiré Andrieux,
 dans les année trente
*
Camille est moins dure que son mari : quand les hommes sont à l'ouvrage ; il lui arrive d'acheter des gâteaux sur le marché voisin pour les leur offrir.

En 1941 Marcelle, sa fille cadette, met au monde un petit garçon. Sa sœur Yvonne vient lui prêter main-forte. C'est Camille qui s'occupe des bêtes de cette dernière, en son absence. Elle trait les vaches dans un pâturage de Saint-Quentin-des-prés (Oise), comme il est de coutume à l'époque...


Elle a avec elle un "tiot" chien.

Ce dernier excite les vaches qui chargent ; l'animal se réfugie dans les jupons de sa maîtresse :

- C'est l'accident -
 
Les bêtes piétinent Camille qui ne s'en remettra pas. Hospitalisée, elle meurt des suites de ses blessures à l'âge de 64 ans.

...devenu veuf, Gustave, reportera son affection sur sa bonne (aide à domicile de l'époque).

*

...à ce jour on ignore où et quand est mort Gustave Nantier (1951 selon nos estimations) - il repose à Villembray (Oise - Picardie).
 
 
Jeune, n'oublie pas le rôle des vieux « pépères » !

préface de l'Historique du 322e Régiment d'Infanterie Territoriale
Imprimerie G. Delmas – Bordeaux - 1920
 

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